Que faire? Clémentine Autain ouvre le débat après les élections européennes…

Pour « l’Obs », la députée LFI, Cémentine Autain, de Seine-Saint-Denis tire les leçons de l’échec aux Européennes. Elle remet en cause la stratégie du «clash » et le clivage peuple-élite.

La France Insoumise connaît un sérieux revers en récoltant à peine 6,3%. Comment l’expliquez-vous ? 

C’est en effet une défaite cinglante. La FI ne retrouve que 36% des électeurs de 2017 pour Jean-Luc Mélenchon, alors que 57% des électeurs de Macron ont choisi aux européennes LREM et 78% de ceux de Marine Le Pen ont hier voté RN. Nos électeurs n’ont pas disparu dans la nature mais ils ont été désarçonnés ou mécontents de la proposition politique qu’on leur a faite depuis la présidentielle. A mon sens, il faut tout autant comprendre ce qui a permis le succès à la présidentielle que ce qui a conduit à l’échec aux européennes. En 2017, Jean-Luc Mélenchon avait réussi à remplir le mot gauche, à lui donner des couleurs, une modernité, loin du calamiteux bilan de l’ère Hollande. Dans les dernières semaines de la campagne présidentielle, on avait eu un Mélenchon rassembleur sur un contenu de gauche cohérent et conséquent. Il avait su faire le plein au sein de la gauche radicale et capter un électorat plus modéré, notamment déçu du Parti socialiste. Depuis deux ans, ce capital politique s’est érodé.

Pourquoi ?

Ce qui est en cause, c’est la ligne politique, les options stratégiques. La séquence des perquisitions a évidemment pesé mais ce n’est évidemment pas le seul paramètre. Depuis deux ans, la France insoumise a de plus en plus recouru au registre du ressentiment et du clash. L’état d’esprit polémique et clivant a sans doute pris le dessus sur la mise en avant de notre vision du monde et de nos propositions. Or notre famille politique prospère quand elle s’appuie sur le ressort de l’espérance et non sur celui de la haine. Le mouvement a mis l’accent sur le clivage entre le « eux » et le « nous », qui ne me paraît ni juste, ni efficace. Cela revient à rejeter d’un bloc les élites, cela s’est traduit par un rejet global des médias et une prise de distance à l’égard du monde intellectuel. Prenons l’exemple de la Révolution française : ce qui a fait la force de 1789, c’est l’irruption du peuple adossée à la pensée des Lumières, et donc en relation avec une élite intellectuelle. En mettant l’accent sur le “eux” et le “nous”, il y avait l’idée de capter un nouvel électorat tout en maintenant celui qu’on avait conquis en 2017. Je constate qu’on a perdu une bonne part de celui de 2017 et qu’on n’en a pas attiré de nouveau.

Les Insoumis ont pourtant mené une campagne très active sur le terrain depuis plusieurs mois pour ces européennes… 

Manon Aubry a mis une énergie exceptionnelle dans cette campagne. C’était un choix d’ouverture, son profil n’est pas en cause et elle a vraiment fait le job. Mais le choix de présenter l’élection comme un référendum anti-Macron n’a pas été porteur, voire s’est retourné contre nous, au profit du RN. Il me semble surtout que les électeurs se sont positionnés en fonction du profil général de la FI, et pas seulement sur notre tête de liste et le contenu programmatique pour les européennes.

A la France insoumise, des cadres expliquent au contraire que c’est l’abandon de la ligne populiste qui est à l’origine de l’échec.

Où ont-ils vu un abandon de cette ligne ? En général, ceux-là sont attachés à l’idée qu’il y aurait un clivage, presqu’un mur infranchissable, entre ceux qui voudraient l’union de la vieille gauche et ceux qui, se réclamant du populisme, voudraient fédérer le peuple. Ainsi, le débat me paraît bien mal posé. Moi, je ne milite pas pour une union de la gauche à l’ancienne, je veux rassembler le peuple sur une base de gauche. Mon enjeu, ce n’est pas la recherche d’un accord d’appareil entre les partis de gauche existants mais bien la quête d’une dynamique politique, sociale, culturelle qui permette de porter dans les têtes et dans les urnes le changement social et écologiste. Cela suppose évidemment d’avoir des partenaires et de faire vivre le pluralisme.

Vous dites que la FI a trop utilisé le registre de la haine. A quoi faites-vous référence ?

Je pense à la récurrence de formulations qui visaient les uns ou les autres pour cliver. Des murs ont été dressés là où, me semble-t-il, il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles. Je pense par exemple au débat qu’on a eu sur l’immigration à la rentrée dernière. Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de qualifier de « castors » et d’entrer en opposition frontale avec les signataires de l’appel en faveur de l’accueil des migrants [appel lancé par Mediapart, Politis et Regards]. Mais quand Andrea Kotarac [l’ex-conseiller régional qui a quitté La France insoumise et appelé à voter pour Marine Le Pen, NDLR] est allé en Crimée avec Marion Maréchal Le Pen, ce fut qualifié d’erreur et accompagné de l’assurance qu’il ne le refera plus. Cela a peut-être aussi troublé une partie de notre électorat, qui est attaché au combat pour l’accueil des réfugiés et aux cloisons étanches avec l’extrême-droite.

Plusieurs cadres ont quitté le parti ces dernières semaines. Le fonctionnement de la France insoumise est-il aussi en cause ?

J’ai posé la question du pluralisme et de la démocratie interne il y a plus d’un an. Cela avait été très fraîchement accueilli à l’époque. On nous avait promis des changements à l’été, un meilleur fonctionnement de l’espace politique… Mais rien n’a été fait en ce sens. Il n’est pas simple de faire du neuf pour s’organiser et il y a évidemment droit à l’expérimentation. Il faut néanmoins maintenant reconnaître que le mouvement gazeux n’est pas la formule qui nous a permis d’agréger. On a plutôt l’impression que le mouvement s’est rétracté.

Que faut-il changer selon vous ?

Il y a une déconnexion entre ce qui se passe dans la société et les résultats de cette élection. Il faut en prendre la mesure. Les gilets jaunes n’ont pas dit leur dernier mot, une vague de jeunes manifestent pour le climat, les profs s’opposent à la loi Blanquer, les hôpitaux en burn-out se mettent en grève… Mais il n’y a pas la traduction politique de ce qu’on ressent socialement. Ce qui monte dans la société, c’est la critique de l’austérité, des normes capitalistes et l’exigence absolue de transition écologiste. Pour le formuler dans une vision alternative, il faut s’ouvrir et travailler encore, pour donner toute sa force au slogan « fin du monde, fin du mois : même combat ». On n’a pas en nous-même, dans le champ politique, toutes les clés. C’est pourquoi le pire serait de continuer comme avant. C’est pourquoi il faut ouvrir les portes et les fenêtres sur la société, les syndicats, les associations, le monde de la culture. Il faut se parler, s’écouter, avancer.

La liste de Yannick Jadot est arrivée en tête avec 13,5%. La France insoumise doit-elle travailler avec EELV ?

La percée des Verts en Europe est un cri d’alerte, une poussée en faveur de la préoccupation environnementale. Je le comprends. Mais avec EELV, nous avons un vrai débat de fond : peut-on mener la transition énergétique dans un monde où règne la loi du profit ? Notre conviction est que ce n’est pas possible, qu’il n’y a pas de solution à l’urgence climatique si on n’affronte pas le pouvoir du capital. Les écologistes hésitent à s’allier aux libéraux au Parlement européen et, très tôt dans la campagne, Yannick Jadot a dit que la recomposition de la gauche n’était pas son problème. Il n’est pas toujours simple de situer EELV politiquement…

Vous êtes aussi au coude à coude avec le Parti socialiste. Les Insoumis doivent-ils travailler avec les socialistes ?

(Long silence). Il y a des fronts communs possibles, comme par exemple le combat contre la privatisation de l’aéroport de Paris. Mais la mise à jour du Parti socialiste me paraît encore très sommaire. Le PS ne peut pas se dédouaner en deux temps trois mouvements du bilan récent de Hollande et Valls. Et par ailleurs, on ne peut pas dire qu’ils se soient remis sur pied même s’ils ont franchi la barrière symbolique des 5%. Mon obsession aujourd’hui, c’est comment on reconstruit un pôle de rupture fort, moderne, attractif, en dynamique. Je crois à la radicalité nécessaire pour affronter les crises multiples que nous traversons.

Au regard des résultats et des deux dernières années, Jean-Luc Mélenchon est-il qualifié pour tenir ce dialogue avec les partis et la société ?

Jean-Luc Mélenchon a fait la proposition de la fédération populaire, c’est à lui d’en définir le sens, de proposer des modalités de mise en oeuvre. Ce qui est sûr, c’est que la démarche doit être collective. Jean-Luc Mélenchon a rassemblé 19,6% des voix à la présidentielle, il a donc des responsabilités dans ce travail de refondation.

Est-il encore le candidat naturel de votre famille politique pour 2022 ?

Ce n’est pas le sujet. La discussion que nous devons avoir, c’est quelle stratégie et comment on se met en mouvement pour reconstruire une perspective de transformation sociale et écologiste. Il faut apprendre de cette défaite. La société est bouillante, et il y a tant d’énergies disponibles pour empêcher ce scenario morbide où il faudrait choisir entre le pouvoir en place, avec l’accélération des recettes qui ont échoué, et le brun, le repli, le climato-scepticisme et la xénophobie. Nous avons la responsabilité d’ouvrir une voie de progrès humain. Je pense qu’on a de grandes possibilités de “rallumer tous les soleils”, comme disait Jean Jaurès.

Propos recueillis par Rémy Dodet. Publié sur le site du Nouvel Obs.

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