Marc Trévidic

Nous vous mettons la totalité de l’interview paru dans la « Voix du Nord » du juge Marc Trévidic qui revient sur la déchéance de la nationalité et l’état d’urgence:

«Sommes-nous prêts à recevoir les terroristes des autres?»

Publié le 25/12/2015 – Mis à jour le 25/12/2015 à 17:19
LAKHDAR BELAID
Ancien juge antiterroriste, aujourd’hui vice-président au tribunal de grande instance de Lille, Marc Trevidic juge avec sévérité le projet d’extension de déchéance de nationalité aux binationaux nés en France. Pour ce magistrat expérimenté, cette réforme ne fera que créer des problèmes supplémentaires.
Comment jugez-vous le projet annoncé par le gouvernement ?
« Il y a déjà des questions pratiques. Comment expulser un individu qui a toujours vécu en France ? Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu’un né chez nous ? Imaginons qu’un autre pays, par exemple le Maroc, vote un texte similaire. Une personne y aura passé toute sa vie et, d’un seul coup, le Maroc nous l’envoie car également français. On n’exporte pas un terroriste ! Que se passera t’il si l’Algérie, les Etats-Unis nous adressent des déchus ? Allons-nous les accepter ? Le Royaume-Uni est en train de réfléchir à une réforme analogue. Que va-t-il advenir des franco-britanniques dans cette situation ? En réalité, c’est faire beaucoup de bruit pour rien et risquer, vraiment, de fabriquer des apatrides.
La question de l’égalité se pose également. Dans notre pays, le principe est qu’il ne doit pas y avoir de distingo entre Français. Comment pourra-t-on réécrire la Constitution ? Enfin, on semble, ici, partir du principe qu’être français, ça se mérite. C’est peut être le cas des personnes qui acquièrent la nationalité. Quand on est né français, où placer la question du mérite ? La nationalité n’est pas un cadeau !»
Y-a-t-il une efficacité apportée, ici, dans la lutte antiterroriste ?
« Je ne la vois pas ! Une telle mesure, très certainement inapplicable, ne peut pas avoir de caractère dissuasif. Sa mise en oeuvre consommerait énormément d’énergie. Cette réforme créera davantage de problème qu’elle n’en réglerait. Encore une fois, quelle sera la réaction de la France si l’autre nation auquel un suspect est rattaché refuse de le recevoir ? N’oublions pas, non plus, qu’on ne peut pas expulser un individu vers un pays où sa sécurité est en danger. Pour cette raison, la Grande Bretagne a du garder Abu Qutada (Arrêté en 2005, ce Jordanien a finalement été expulsé en… 2013). Notre pays ne doit pas se considérer seule dans une bulle. La posture, ici, est : Cachez ce terroriste que je ne saurais voir ! Ce n’est pas aussi simple. »
Une telle mesure peut elle entraîner des dérives ?
« Le pays est encore sous le coup de l’émotion due aux attentats de novembre. En même temps, la définition du terrorisme est très floue. Il concerne également l’atteinte aux biens. Les Moudjahidinne du peuple iraniens ont été considérés comme terroristes ou pas en fonction des enjeux de notre politique étrangère. Enfin, l’état d’urgence, aujourd’hui, permet d’assigner à résidence des… écologistes. Je suis très surpris de voir la rapidité avec laquelle on range nos principes au placard. Que se passera-t-il, demain, si un régime autoritaire qualifie très largement des opposants de « terroristes » ? »

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